Ruines intérieures

Je portais les habits du désespoir, les souliers de l’usure, le baluchon maigre des rêves dépouillés. J’étais devenu un sans-projet fixe, errant dans les décombres qui semblaient être une partie de moi. Et j’en appréciais la terrible inertie.

Il y avait de souvenir, des panneaux au sol, des directions en déroute qui se renvoyaient des destinations qui n’avaient plus cours. Les lieux finissaient de se dissiper se mêlant aux poussières. La vacuité du sens, des destinées humaines, gisait à mes pieds. Il y avait un drapeau démis de son mat, de ses fonctions. Ses frontières restaient interdites, orphelines de toutes vanités, de tous égoïsmes façonnés par les peurs les plus crédules. Une débâcle était née du chaos, et les gravats infinis en définissaient les nouvelles bases. Plus une seule couleur pour grimer les mensonges, il faisait gris, triste et effroyablement gris. Le soleil avait été banni : il faisait nuit et froid au carrefour de la mort. J’aurais bien tenté de crier toute ma détresse, mais plus un seul mur n’aurait pu répercuter ma douleur. À quoi cela m’aurait-il donc servi de lâcher une meute de souffrances aux trousses du néant ? Elle aurait bien fini par me revenir, plus affamée que jamais, et m’aurait dévoré sans grand mal tellement j’étais las.

J’aurais pu tenter la longue traversée des océans d’infortunes ; mon cœur en brise l’âme, crevant les flots conspirateurs de la déraison.

J’aurais pu errer de ruine en ruines, comme le feraient des spectres en quête de demeure. J’aurais pu m’asseoir et attendre que mes veines ne se vident du temps imparti. Libérer la clepsydre de mes grains de moi inutiles.  Mais je n’eus le courage de rien de cela. J’étais debout et continuais du regard le tour d’horizon, l’inventaire du legs de l’inhumanité. Çà et là des carcasses de bêtes jonchaient mon nouveau territoire, des cauchemars qu’aucun charognard ne viendrait jamais dépecer. Quelques tonnes de métaux barricadant mes infimes espoirs.

Par vague régulière s’opérait la valse des formulaires administratifs, des réclames aux mille tentations vaines. De la paperasse chahutée par le vent qui n’en finissait pas de souffler : nous n’étions plus que brouillons malmenés comme feuilles en automne. J’étais seul et ma vision apocalyptique avait pris le dessus. Mon environnement était celui que mon cœur me dictait, dans le refus total d’entrevoir autre chose que la ruine du moi, et de cette société malade qui ne pouvait que crever d’elle-même. Mon palpitant était l’antichambre des enfers, une lourde porte avait crissé sur ses gonds jusqu’à se refermer sur mon monde intérieur, dévasté.

Je me tenais là, à l’emplacement même d’un hôpital, lorsqu’enfin quelque chose m’arriva. Un cri qui me raviva, neuf et pur, un de ces miracles qui surviennent au plus mauvais moment d’une existence.

Une petite voix me fit sortir de ma torpeur. Peut-être même qu’une larme eut la force d’arracher le voile de cette vision apocalyptique et puis de ce qui m’avait sauvé la vie. Je vis ses lèvres recouvertes de pâte à tartiner au chocolat renouveler la question qui m’avait plongé dans ma réflexion.

– Papaaa ? C’était comment avant que je vienne au monnnde ?

J’ai dû lui sourire toute ma reconnaissance car sa bouille fût enjouée et enthousiaste.

– Rien de très intéressant mon bonhomme. Le monde je crois, est né en même temps que toi.

Publié par 1977leo1977

Dépeindre les fonds abyssaux pour encourager la mise en lumière de nos lueurs fragiles. Aux rythmes de mes jours, aux rendus de mes nuits, auteur malgré moi...

18 commentaires sur « Ruines intérieures »

    1. Je pense que dans cette affaire, le lecteur impliqué et réceptif a une bien plus belle âme encore, puisqu’il a fait don de son temps, de sa sensibilité, et dans votre cas, a même pris le temps d’adresser un retour. Aussi c’est moi qui vous remercie.

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  1. Il y a, heureusement, de temps en temps, dans nos vies chahutées, dans ce monde qui part en vrille, de tels moments de grâce où, par un mot, par un sourire, par une chère présence, nous sommes ramenés à l’essentiel. Certains écrits, dont les vôtres, ont aussi cette vertu. Merci!

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    1. Merci infiniment pour votre commentaire touchant. Je pense aussi que quelques secondes de grâces peuvent combattre des heures d’obscurantismes. Bonne soirée.

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  2. Un magnifique récit où beaucoup d’entre nous se reconnaitront pour avoir au moins une fois dans sa vie ressenti ce vide au plus profond de soi, cette envie de franchir cette porte où la lumière est si intense qu’elle vous attire à elle, tel un aimant. Loin de nous l’envie de faire souffrir autrui mais Il faut être doté d’une force bien plus puissante encore pour ne pas sombrer. La souffrance est grande mais personne ne peut la ressentir donc personne ne peut la comprendre. Puis vient le jugement à défaut du jugement dernier qui, sans doute serait plus clément dans ces douloureux moments. L’ombre de soi-même et pourtant toujours lucide, bien conscient de cette descente aux enfers progressive. Et cette petite voix intérieure que vous êtes seul à entendre et qui sans le savoir vous apporte l’aide dont vous avez tant besoin et qui vous guide, qui sait? Mais oui, l’amour est plus fort que tout car seul l’amour sauve. Et surtout celui d’un enfant. Tout comme vous, ce petit bout de choux qui me tendait les bras chaque jour en criant « Maman » …J’étais pourtant sur cette passerelle de plus en plus oscillante. Aussi ai-je fait demi-tour .…De justesse (image) Même si j’ai, durant un certain temps continué à vaciller…Je me suis relevée…Par amour pour ce petit ange ❤ Qui aujourd'hui me le rend bien… Bien à vous

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    1. Merci infiniment Fabienne d’avoir pris le temps de lire le texte, mais aussi d’avoir généreusement témoigné de votre ressenti et expérience. Les enfants savent faire des miracles et à ce titre méritent tous les égards et bienveillances, il faut croire en eux et croire en nous. Il faut faire le nécessaire pour leur laisser des lendemains d’espoirs. Bonne nuit.

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  3. Bonjour

    La ruine intérieure……..celle qui nous permet d’avancer. Chacun de nous se reconnaîtra dans ce texte. Nous traînons, derrière nous, un échec personnel qui, avec une force de volonté, nous a remis en orbite.
    Jolie conclusion, celle qui donne de l’espoir !!

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    1. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, se relever et faire de ses failles un apprentissage, puis finir par laisser la vie nous apprivoiser. Merci de cette nouvelle lecture et commentaire Léocadie.

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