Timbuktu, un film d’Abderrahmane Sissako

Timbuktu, un film d’Abderrahmane Sissako

Comme en témoigne mon article « Cinéma et domaine public », le 7ème art est une de mes passions. Celle d’ailleurs qui finit de me grappiller mes dernières heures de disponibilité. Il était donc inéluctable que je finisse tôt ou tard par écrire sur certains films. C’est donc une grande première que je décide de consacrer au travail d’Abderrahmane Sissako concernant son film Timbuktu.

Affiche film Timbuktu Abderrahmane SissakoUne œuvre couronnée de succès puisque le cinéaste mauritanien a remporté de nombreux prix. Sept Césars en 2015, parmi lesquels celui du meilleur film ou encore celui de meilleur réalisateur, sans compter sa nomination aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger.

Au moment du sacre du film (que je n’avais pourtant pas vu), je n’avais pas pu m’empêcher de penser que cette participation était calibrée pour gagner. Tant le sujet qui traite de djihadistes s’implantant au Mali, dans la ville de Tombouctou (orthographiée ainsi en français) faisait figure de premier de la classe dans le pays des droits de l’homme. Jusqu’à ce que j’apprenne  que le projet avait été mené en Mauritanie, dans l’ombre d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Un danger qui a d’ailleurs nécessité la protection de l’armée mauritanienne lors du tournage. Cette tension s’est accentuée à l’occasion de sa sortie.  Timbuktu a d’ailleurs été déprogrammé du festival Ramdam en Belgique du fait de menaces terroristes, justement. Non, assurément, être le premier de la classe ne peut pas justifier à lui seul une telle prise de risque.

Et si même un déluge de critiques allait s’abattre sur le victorieux réalisateur : cachets misérables de nombreux acteurs, plagiat supposé concernant certaines scènes, relation privilégiée avec le controversé président mauritanien, ou encore participation tendancieuse du fait que ce ne soit pas un film français ; je me devais de me faire ma propre opinion et tout simplement juger sur pièce le fruit du labeur d’Abderrahmane Sissako.

C’est ainsi que j’actionne l’interrupteur du salon. La pénombre fait place au seul cinéma, dissipant de ce geste toutes idées préconçues et scandales réels ou supposés. À ce moment même où surgit un 4X4. À son bord des hommes chassant la gazelle à la kalachnikov, sous pavillon noir. L’ambiance s’impose en quelques secondes.

Les images époustouflantes d’une grande beauté vont dès lors se succéder de bout en bout du film. Comme pour accentuer cette idée que le paradis est viscéralement le pendant de son verso, l’enfer.

Les djihadistes pareils aux loups des contes qui pavent l’imaginaire occidental, prennent place et imposent la charia aux habitants locaux.

La caméra pose consciencieusement les décors. Les personnages qui vont inéluctablement se heurter. Au mal qui prend racine et aux tempêtes qui couvent. Nous faisons également la connaissance de Kidane un touareg vivant de l’élevage dans le désert alentour avec son épouse et sa fille. Il confie le troupeau à un jeune berger du nom d’Issan, au grand mérite. Çà et là des points de verdure clairsèment le paysage désertique, pareil à des brins d’humanité qui résistent à la sécheresse intellectuelle que veulent imposer les nouveaux arrivants. Cette terre pétrie d’espoir et d’amour qui nous est proposée, c’est toute la générosité de l’Afrique, adossée bien malgré elle, à l’égoïsme des destins contrariés.

Les djihadistes aux regards toujours plus inquisiteurs pillent, jour après jour, après vide, les frêles sourires des habitants.

Timbuktu femme au couteau Les petits hommes récitent en boucle l’absurde. Il se ridiculisent aux yeux de femmes splendides d’honneur, de courage, d’intelligence, de beauté et de coquetteries. Ces dernières bravent des djihadistes en proie aux plus grands doutes, aux failles les plus intimes. Troublés par ce qu’ils se doivent pourtant de réprimer. Elles tentent de fissurer de par le bon sens le nouvel ordre qui s’instaure sous la menace. Et c’est précisément ce que je trouve admirable avec la caméra d’Abderrahmane Sissako.  Cette capacité à rendre l’oppressé, par la splendeur de son humanité, de loin bien plus redoutable que le totalitarisme qui erre dans ses propres contradictions.

Les dialogues sont incisifs et font mouches à chaque instant. La pensée est posée et clairement articulée, pour ne laisser aucune chance à l’obscurantisme de pouvoir se dédouaner du crime à présent largement consommé.

Toute source de bonheur est éradiqué, jusqu’à cette décision ahurissante de confisquer les ballons. C’est ainsi que des matchs d’un nouveau genre s’improvisent. Opposant la répression à la dignité. Les jeunes joueurs miment un football plein de vie, arbitré par la bêtise des fossoyeurs de joie. La poussière remuée des illusions, les rêvTimbuktu football sans ballones en grand, et les victoires en géantes font de cette scène un moment inoubliable. Et probablement culte du cinéma.

Là encore, à la discrétion d’un studio improvisé,  surviennent également des cours d’interprétations filmées. Les éructations du coach formatent et dirigent un peu plus les jeunes aux causes du mensonge et de la manipulation, au déni d’eux-mêmes. Les réseaux sociaux en rampes de lancement de bombes à retardement, à défragmentation sociale.

Après l’assèchement du corps et de l’esprit survient immanquablement celui des cœurs. L’amour sera même déféré devant la justice des fous. Les suppliciés finiront enterrés, avec la seule tête dépassant du sol. C’est cette scène, tirée d’un fait réel au Mali qui aurait convaincu Abderrahmane Sissako de prendre la caméra sur ce projet. Pernicieusement, et à force d’insistance, les mariages contraints publient les bans de la compromission des sages. Ils ne peuvent plus contenir moralement les assauts de plus en plus impatients des hommes en armes. Il ne restera alors plus qu’aux djihadistes, à passer la terreur aux doigts des nouvelles victimes.

Le jour courbe à son tour l’échine, las d’un mal lancinant. Quelques cordes de guitare résistent bien encore un peu, délivrant les ultimes notes d’une musique esseulée dans les ténèbres des hommes en sursis. Les derniers chants, avant que le langage s’évapore et ne laisse place à l’implacable absurdité du néant.

À ces drames communs successifs, se joue en parallèle l’histoire de Kindane. Sur un conflit de voisinage qui tourne mal, il va voir sa vie basculer aux mains de la police islamiste. Un face à face intense, avant le dénouement que je vous laisse découvrir par vous même.

Pour conclure :

Les plans métaphoriques et poétiques, la beauté des personnages et leur touchante interprétation font de Timbuktu une référence cinématographique tout bonnement époustouflante sur le plan de l’esthétisme. Une œuvre qui marquera durablement et de la meilleure des façons les spectateurs les plus sensibles, attachés aux messages humanistes et empreints d’espoirs. Une réalisation intelligente et méticuleuse qui rend un magnifique hommage à la splendeur de l’Afrique.  En revanche, le film frustrera très probablement les personnes beaucoup plus pointilleuses, en quête d’absolu et de vérité. Ces derniers n’y verront alors qu’une œuvre opportuniste, naïve par trop de sentiments raisonnés, bien trop orchestrés et séquencés pour être authentiques. La beauté et la bonté du long métrage sont à la fois la force, mais aussi la grande faiblesse du film, que l’on pourrait comparer  (si le dessin animé existait) à Kirikou au pays du Djihad. On ne peut pas tout avoir. Et au final, c’est cette approche édulcorée qui s’ouvre les portes d’un public plus jeune, et même familial.  Mieux comprendre ces autres réalités du bout du monde qui deviennent par la force des chose nôtres, d’une façon ou d’une autre.

Quel que soit l’angle d’approche que l’on peut prendre, le travail d’Abderrahmane Sissako ne laisse pas indifférent. Il mérite sans conteste que l’on s’y attarde. Je vous souhaite une bonne séance de beau cinéma.

Publié par 1977leo1977

Dépeindre les fonds abyssaux pour encourager la mise en lumière de nos lueurs fragiles. Aux rythmes de mes jours, aux rendus de mes nuits, auteur malgré moi...

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